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Quelques raisons pour lesquelles le Tantra présente une certaine connotation sexuelle auprès des occidentaux.

 

Le Tantra est un ensemble de pratiques destinées au développement de la conscience. De nombreuses interprétations en sont transmises, qui vont des formes traditionnelles d’inspirations chamaniques, à des pratiques yogi et des pranayama originaires de l’inde, au vajrayana du bouddhisme tibétain et enfin à la forme la plus répandue en occident que l’on peut qualifier de Neo-Tantra. Cette dernière est la déclinaison occidentale de l’un ou plusieurs des courants précédents. Il n’y a donc pas un Tantra, mais des Tantras. Toutefois, afin de simplifier, nous serons amenés ici à utiliser le mot Tantra comme un terme générique couvrant diverses réalités. Le Tantra est une métaphysique dans ce sens qu’il propose un regard sur l’univers. Il en a même une vision originale qui remet en cause les manières les plus courantes de l’appréhender.

Ce qui fait l’originalité du Tantra et qui est, en même temps, le fil conducteur que l’on retrouve dans presque toutes les formes de pratiques citées plus haut, est l’idée de non-dualité (Advaita) que je développerai plus loin dans cet article.

La non dualité va au delà de la compréhension et de la perception courante. C’est l’idée du continuum, l’idée que notre individu n’est pas individuel, pas séparé et qu’il est relié à un tout. Que ce tout est contenu dans un Soi qui n’est pas le corps et qui n’est pas le mental. Nous percevons notre corps, nous percevons notre mental et donc, il y a quelque chose qui les perçoit et qui n’est pas eux et qui transcende l’individu que nous croyons être. Du coup, rien de ce qui nous semble être extérieur ne l’est vraiment. Parce que rien de ce qui nous arrive n’est extérieur. Tout est leçon personnelle et rien n’est à juger, ni à combattre ; tout est sacré. C’est l’essence des Tantras.

 

L’image du Neo Tantra et du Tantra en général

Le Tantra (et particulièrement le Neo-Tantra) peut être diversement ressenti. D’une part, il a changé la vie de beaucoup ; à ce titre, il connaît de nos jours un essor remarquable avec la multiplication des écoles et des séminaires de Tantra. Mais par ailleurs, il souffre d’une image contrastée, voire sulfureuse, tant de la part du monde profane, qui la connaît très peu, qu’à l’intérieur même des mouvements tantriques.

Au niveau du grand public, a priori peu familier de ses courants, le Tantra est une mouvance globale et assez indifférenciée dont le nom est associé le plus souvent à la sexualité. Très peu connaissent cette discipline en tant que métaphysique voire philosophie. Une philosophie certes particulière, car fondée sur l’expérience directe et sur la pratique plus que sur le discours et la dialectique. On notera toutefois que le mot Tantra, au delà de son sens premier en sanskrit qui est « tissage », veut aussi dire traité, c’est à dire livre. De fait, beaucoup de Tantras sont des sortes de chants philosophiques. Dans ces chants, la part consacrée à l’expérience de la sexualité n’est pas majeure. Il y a donc dans le grand public, une forme de méprise.

Cette méprise quant à la sexualité est à la fois, pour le Tantra, un poids et un atout. Un poids, parce que la sexualité exprimée fait encore l’objet de nombreux tabous sociaux et qu’elle peut provoquer le rejet. Un atout, parce que la sexualité intéresse et beaucoup ont été attirés au départ vers le Tantra par un questionnement sur leur sexualité. Ils ont pu, par la suite, le transformer en une véritable démarche spirituelle ou de développement personnel qu’est la démarche tantrique.

D’autre part, à l’intérieur du petit monde des Tantrikas, les oppositions, les débats et les jugements sont monnaie courante. Des réactions du type « ce n’est pas le vrai Tantra », ou bien « c’est du touche-pipi » (oui oui, j’ai entendu ça) ne sont pas inhabituelles. Il s’agit là de réactions très humaines et qui au moins, rassureront tout ceux qu’inquiètent les détenteurs de vérités absolues.

Beaucoup de courants actuels du Tantra prennent position par rapport à la présence de la sexualité dans le discours et la pratique tantrique. Ce faisant, ils lui donnent une importance qu’elle n’a pas forcément. En tout cas pas forcément au sein de toutes les branches de la constellation tantrique.

De tous temps, la pratique ou l’évocation de la sexualité a déchainé les débats, voire les passions. Elle utilise en effet une énergie tellement puissante, l’énergie de vie, l’énergie créatrice, qu’elle ne peut laisser le mental inactif. Pour ou contre ? Mais réalisons qu’être pour ou être contre la sexualité dans le Tantra, c’est être contre, parce que c’est se dissocier d’une énergie qui nous transcende et qui est présente. Elle est même indissociable de chacun d’entre nous. Créer une dissociation c’est établir une source de frustration qui est le germe de nombre des problèmes de nos sociétés.

Par ailleurs, il faut être conscient que le débat entre les partisans et les opposants à la présence de la sexualité dans la pratique tantrique ne date pas d’aujourd’hui. Au XIème siècle déjà, au Cachemire (où cohabitaient les grandes religions, Bouddhisme, Islam, Indouisme, Jainisme, Shivaïsme tantrique) certains adeptes du Shivaïsme dérangeaient par leurs excès, en particulier la pratique sexuelle dans le cadre de banquets. Ils dérangeaient aussi par leur remise en cause du système des castes. Les Brahmans, caste dominante, jugeaient leurs pratiques impures.

Se développèrent alors des courants plus « modérés» du tantrisme dont l’espoir était probablement d’être acceptés, intégrés socialement et politiquement. D’autres courants plus extrêmes refusèrent le compromis. Les courants modérés pouvaient même abandonner la vision non-dualiste, se rapprocher de la culture brahmanique et des Védas et même accepter les castes. Les débats existaient déjà par rapport à la pureté de telle ou telle forme de Tantra. A cette époque, Abhinavagupta, le maître tantrique auteur du Tantraloka, disait : « l’impureté, c’est de croire qu’il y a de l’impur. » Il ne peut pas y avoir d’impur. Parce que toute vie et toute conscience est de nature divine et que le Tantra considère la sacralité de toute chose.

Tantras et sexualité

D’où provient donc l’indéniable connotation sexuelle du Tantra ? Tapez Tantra dans votre moteur de recherche internet et vous trouverez plus de sites consacrés à la sexualité, voire même à la prostitution que le commentaire du Vijnana Bhairava Tantra, du Tantraloka ou du Spandakarika qui sont trois parmi les textes de référence de la discipline.

Les raisons de cet état de fait sont de plusieurs ordres :

Le Tantra reconnaît la sexualité et peut parfois l’utiliser

La première de ces raisons est que même et surtout les formes de Tantra traditionnelles proposent la pratique de la sexualité (dans les voies dites Vama Chara, c’est à dire les voies de la main gauche). Toutefois celle-ci n’en est pas forcément l’élément central. On évoque quelquefois Maithuna, rituel qui inclue la sexualité mais également la consommation de produits interdits dont la viande et l’alcool. Ce rituel est bien pratiqué, dans certaines voies ou écoles traditionnelles, mais dans des conditions exceptionnelles, par des disciples rompus à la méditation et après des années de quête. Sans ces années de « nettoyage personnel », de déprogrammation, la sexualité demeure entravée par l’attachement au désir, l’objectivation et les projections.

De nombreuses voies dites Dakshina Chara ou Dakshina Marga, voies de la main droite, n’incluent pas la pratique sexuelle mais la visualisent symboliquement lorsqu’il s’agit d’équilibrer les principes masculin et féminin chez l’adepte.

On dit aussi que la sexualité entre l’homme et la femme est un canal important de la transmission du message tantrique entre le maître ou la Dakini et l’adepte. Là encore, il s’agit plus d’un aboutissement que d’une pratique courante.

Si le Tantra utilise effectivement la sexualité il en a cependant une vision particulière. C’est une sexualité sans forme, sans but, libérée de tout objet et de tout attachement. C’est une sexualité par laquelle on ne se nourrit pas de l’autre mais où l’on partage cet infini dont on est soi-même déjà nourri. Pour atteindre cet état, le Tantrika aura auparavant déprogrammé l’illusion et se sera libéré de l’attachement et du mental.

L’union de Shiva et Shakti, des principes masculin et féminin.

Par ailleurs, le Tantra utilise beaucoup de métaphores afin de transmettre ses messages. Parmi elles, on évoque souvent l’union de Shiva et de Shakti, c’est à dire l’union des principes masculin et féminin. On a rapidement présumé que cette union est physique, qu’elle est celle de deux tantrikas pratiquant ensemble. C’est possible mais ce n’est pas toujours le cas.

Cette union Shiva/Shakti est avant tout une parabole. Pour le Tantra, Shiva représente la conscience immobile incluant tout et non différenciée. Shakti représente l’énergie de vie, la force vitale en mouvement. Par leur union, la conscience immobile et inconsciente se met en mouvement et peut entrer en expansion pour prendre conscience de soi. C’est également une métaphore de la création de l’univers. A l’origine, le Bindu, noyau universel indifférencié donc également non conscient, entre en expansion afin de prendre conscience de son existence. Quand chaque partie du tout prendra conscience de son appartenance et de son identité au tout, alors pourra avoir lieu le retour au tout. C’est le phénomène d’expansion/contraction de l’univers.

En réalisant cette union de Shiva et de Shakti ou cet équilibre des polarités masculine ou féminine à l’intérieur de lui-même, et ce bien souvent par de simples pratiques de respiration (par la pratique de la respiration narines droite puis gauche en alternance par exemple – swara-yoga), le tantrika pacifie son mental. Il réduit ainsi l’illusion de la dualité, de la séparation. Il réduit ses propres antagonismes et ses contradictions. Il se met en action et non plus en réaction. La réaction est le réflexe du mental contrôlant. L’action est pure conscience.

Si certaines formes de tantrisme réalisent l’union de Shiva/Shakti par des pratiques pouvant inclure une forme de sexualité, beaucoup se contentent de visualiser cette union des polarités masculines et féminines ou bien de la réitérer au moyen de pratiques de respiration (pranayamas). Au total, l’usage de la sexualité dans la pratique tantrique est loin d’être l’apanage de la majorité des courants.

L’influence d’Osho sur les neo-tantrikas.

Beaucoup des personnes qui proposent aujourd’hui des activités de Tantra et plus particulièrement dans sa forme dite neo-tantra, ont été influencées par le Gourou indien Bagwan Rashneesh (plus tard appelé Osho). Celui-ci a attiré, dans les années 70/80 des milliers de sanyas (disciples), d’abord indiens puis occidentaux dans ses ashrams successifs à Poona en Inde et en Oregon.

Ces communautés ont réuni des hippies, des thérapeutes, des personnes en recherche spirituelle, des curieux qui se sont rassemblés à ses côtés en pleine période de révolution sexuelle et avant le Sida.

Osho étant lui-même apôtre de la non dualité, n’a évidemment rien interdit (« freedom is my ultimate value »). Il a même peut-être encouragé une sexualité libre. Son but était probablement de bousculer les concepts de mariage, de fidélité et de relation unique. Plus généralement, il a dénoncé et combattu tous les principes et conditionnements sociaux, culturels et familiaux. Ils étaient causes, selon lui, de beaucoup des névroses de nos sociétés.

Osho n’était sans doute pas un maître tantrique au sens traditionnel du terme, en revanche, il beaucoup utilisé la référence au Tantrisme dans ses discours. Ses commentaires du Vijnana Bhairava Tantra, du chant de Mahamudra et du chant royal de Saraha sont célèbres. Il a bien sûr aussi parlé du soufisme, du Zen et de toutes les grandes spiritualités. Toutefois, le Tantra gardait une présence particulière dans ses discours et nombre de ses adeptes sont aujourd’hui des enseignants de Tantra.

Il n’est donc pas étonnant de retrouver chez ces enseignants/transmetteurs l’empreinte et une référence marquée à une sexualité libre qui était dans l’air du temps à la fin des années 1960, 1970 et début 1980.

Osho définissait parfois le Tantra par opposition au Yoga qui, disait-il, recommandait le contrôle de la sexualité afin d’éviter l’attachement au désir sexuel. Le Tantra n’est pas une voie du contrôle. Ce qui est contrôlé n’est pas libre, ce qui est interdit est réprimé et générateur de névrose. Il prône ainsi de ne pas réprimer afin de pouvoir transcender. C’est une voie de liberté, de liberté consciente, ni libertaire, ni libertine.

Pour conclure résumer et conclure :

Après tout, cette connotation sexuelle du Tantra est dans l’ordre des choses et d’un point de vue non duel, elle est parfaite.

Le Tantra accueille la sexualité parce que la sexualité, comme toute chose, est sacrée ; parce qu’elle est la manifestation du Divin. Parce que le Tantra est une voie de la liberté et pas du contrôle. Une voie de l’action et non de la réaction. Le Tantra est une voie sans forme à tel point que le sans-forme peut même jouer avec la forme. Le Tantra n’est pas la sexualité, en tout cas dans sa forme réduite. Le Tantra est la sexualité parce que la sexualité, c’est l’énergie de vie et l’énergie de la création. Elle est utilisée par lui comme une source puissante de transformation, qu’elle soit pratiquée ou visualisée.

La sexualité n’est que le partage de l’amour, amour individuel qui est la connaissance que tout est dans soi et que rien n’est à prendre à l’extérieur parce que l’extérieur est une part de nous et du tout.


Quelques raisons pour lesquelles le Tantra présente une certaine connotation sexuelle auprès des occidentaux.